AfD. Ces trois lettres font actuellement trembler l’Allemagne. Alternative für Deutschland (Alternative pour l’Allemagne), le parti d’extrême-droite allemand a le vent en poupe et semble tisser sa toile sur l’ensemble du territoire. Après la Saxe et le Brandebourg il y a deux mois, L’AfD a enregistré une forte percée électorale à l’occasion d’un scrutin régional organisé en Thuringe, région de l’ex-Allemagne de l’Est. Son leader, Björn Höcke, représente la mouvance la plus à droite de son parti.

Björn Höcke
Il n’hésite pas à s’inspirer des discours de Goebbels ou d’Hitler pour prendre la parole en public. Dénigrant le monument à la mémoire des juifs d’Europe (situé à Berlin) exterminés par le IIIème Reich, reprenant en coeur la première strophe de l’hymne allemand, interdit car faisant référence au nazisme, ou souhaitant rompre avec la repentance par rapport à la période nazisme, Björn Höcke n’est pas à prendre à la légère.
Les succès électoraux les plus flagrants de l’AfD se situent en ex-RDA. Toujours à la traîne par rapport à leurs voisins d’ex-RFA, ces territoires présentent un terreau propice à la montée des idées d’extrême-droite. Pourtant, ces régions ont connu pendant près d’un demi-siècle un modèle qui honnissait ces idées, et qui se revendiquait antifasciste. Certains nostalgiques du modèle communiste revendiquent d’ailleurs l’argument que le racisme n’existait pas en RDA. En pleine période d’ostalgie (nostalgie de l’ancienne RDA), c’est pourtant l’extrême-droite qui capte la détresse de la population. Peut-être est-ce simplement que l’AfD, qui joue sur le sentiment d’abandon et de déception que ressentent les allemands de l’est par rapport à ce qu’on leur avait promis (abondance et liberté), trouve les mots justes pour parler à cette population en quête d’identité. Dans tous les cas, cette montée de l’extrême traduit le fossé qui sépare encore l’est et l’ouest et le malaise qui subsiste aujourd’hui. Mais, l’analyse peut être ici poussée plus loin. Si la RDA s’est érigée en nation antifasciste, les faits ont-ils suivi le discours? Les dirigeants communistes ont-ils bannis de la vie publique les anciens nazis? Ont-ils procédé à une dénazification de la société et travailler sur les faits historiques? Et si la RDA s’est construite sur un mensonge, est-il aujourd’hui si étrange de voir surgir à nouveau les idées fascistes? Eclairage sur une part d’ombre de l’histoire allemande.
Pour cela, il faut revenir à la défaite allemande en 1945. Dès 1943, les Alliés avaient préparé l’après-guerre. Ainsi, ils décidèrent d’éradiquer une fois pour toute le risque de résurgence du militarisme allemand en occupant l’Allemagne. Les allemands perdirent alors leur souveraineté pour de longues années. Mais très rapidement, le conflit Est-Ouest allait émerger, ce qui aboutit à la création de deux états allemands, satellites des deux grandes puissances : les Etats-Unis et l’URSS.

drapeau de la RDA
Dès 1945, l’URSS entreprit avec rigueur la dénazification de la zone qu’elle contrôlait. Ainsi de 1945 à 1948, des tribunaux militaires jugèrent et condamnèrent pas moins de 80000 allemands à de longues peines de prison ou à la peine capitale. Cependant, bon nombre de procès se sont avérés arbitraires et beaucoup de condamnations sans preuves ont été prononcées. Lors de la création de la RDA (République Démocratique Allemande) en 1949, en réponse à la création de la RFA en mai de la même année côté ouest, l’URSS transféra au jeune état la charge des derniers procès. Sur le même modèle que les précédents, ces procès spectacles ont été bien souvent peu équitables. Néanmoins, dans cette période, la RDA a condamné à juste titre plus de criminels nazis que la République fédérale d’Allemagne. La dénazification de la police, de la justice et de l’administration interne a été très réussie, comparé à son voisin est-allemand. Dans le contexte de la guerre froide, les gouvernants de la RDA ont su mettre en avant ce facteur et l’utiliser à bon escient à des fins de propagande : l’état est-allemand s’est ainsi construit sur le mythe du rempart antifasciste. Par exemple, lors de la décision de la mise en place de l’opération « mur de chine » en 1961 et la construction du mur de Berlin, le terme choisit pour appeler cette barrière fut : « le mur antifasciste ».
Le Ministère de la Sécurité de l’Etat (Ministerium für Staatssicherheit) a eu un rôle prépondérant dans le traitement des données sur les anciens nazis. En effet, il disposait d’une quantité impressionnant d’archives nazies, soigneusement répertoriées et conservées dans le plus grand secret. Ces archives se sont avérées précieuse dans le conflit avec la RFA. En effet, beaucoup de dirigeants ouest-allemands avaient un passé nazi et la RDA avait ainsi la possibilité d’utiliser des documents compromettant pour influencer les élections, menacer ou faire pression sur certains postes clés. Mais les dossiers montrent également que les auteurs nazis vivant en RDA n’ont pas nécessairement été traduits en justice et que d’anciens membres du NSDAP ont même été recrutés par l’état est-allemand. C’est ainsi que le SED (Parti socialiste unifié d’Allemagne), parti unique autorisé en RDA, commença à recruter d’anciens nazis dès 1946. On estime qu’à cette époque, environ 10% des membres du SED était ainsi concernés. En 1954, soit cinq ans après la création de la RDA, le parti comptait 27% d’anciens militants du NSDAP. Mais la SED n’est que la pointe de l’iceberg. En effet, 33% des employés de la fonction publique étaient d’anciens nazis. Même si le chiffre est moins colossal qu’en Allemagne de l’Ouest, où 50% des fonctionnaires étaient d’anciens nazis, il n’en reste pas moins très important. Dans la médecine, le cas était encore plus grave : la plupart des médecins qui avaient joué un rôle dans la politique d’extermination des juifs, des tziganes, des handicapés n’ont jamais été inquiétés et ont pu continuer leur profession en toute impunité. Parmi ces cas, on peut citer celui de Jussuf Ibrahim, directeur de l’hôpital universitaire pour enfants de Iéna. Jussuf Ibrahim, a pu poursuivre sa carrière après la guerre, même s’il était l’un des médecins qui avait embrassé les idées nazies et avait activement envoyé des enfants handicapés à la mort entre 1942 et 1945. On peut également citer le cas de Rosemarie Albrecht.

Rosemarie Albrecht
En l’an 2000, des documents ont été retrouvés dans les fameuses archives du ministère de la Sécurité d’Etat de la RDA, qui prouvaient l’implication d’Albrecht dans des mesures d’euthanasie (overdose de sédatifs) pendant son séjour à Stadtroda entre 1940 et 1942. En 2004, elle figurait sur la liste des criminels de guerre nazis les plus recherchés du Centre Simon Wiesenthal. Les services de la RDA ne pouvaient pas ignorer ce passé mais Rosemarie Albrecht fut pourtant récompensée à maintes reprises, et notamment du Prix national de la RDA, une des plus hautes récompenses pour les civils.
On comprend bien que la société est-allemande était tout aussi gangrenée que la RFA par d’anciens nazis. Comme sa soeur, elle s’est construite sur les cendres incandescentes du IIIème Reich, et n’avait absolument aucune leçon à donner à quiconque. Navré de déconstruire ici l’imaginaire d’ostalgiques, qui gardent de bons souvenirs d’une dictature qui s’écroula, un soir de novembre 1989. L’ouverture récente des archives a permis de découvrir le passé de milliers d’anciens nazis, et de ramener devant la justice ceux qui ont participé aux crimes du IIIème Reich. Hélas, ces procès ne sont arrivés que trop tardivement, et les accusés, souvent trop âgés pour être condamnés, ont été relaxé pour raison de santé.