L’Allemagne fête-t-elle le 8 mai?

Le 8 mai est un jour férié en France car, comme chacun sait, c’est le 8 mai 1945 que la  Seconde Guerre mondiale prit fin avec la capitulation sans condition des allemands signée à Reims. Pour la Russie et ses anciens satellites communistes, on commémore le 9 Mai 1945, jour où les soviétiques ont signé la fin de la guerre à Berlin. D’autres pays célèbrent ce jour différemment : en Italie, on fête le jour du renversement de Mussolini, le 25 Avril. La Croatie honore le 22 juin le jour de la lutte contre le facisme, aux Pays-Bas, la fête de la libération a lieu le 4 mai. L’Angleterre, qui n’a jamais été occupée par les allemands sur son territoire, n’a pas de jour de commémoration, excepté sur les îles Jersey et Guernesay qui étaient tombées sous le joug allemand. Mais qu’en est-il de l’Allemagne?

Une histoire personnelle

Cet article part d’une anecdote personnelle. Alors que j’étais au travail et que je parlais avec un allemand du fait que ce jour était férié en France et que je ne pourrais pas donc pas rentrer en contact avec mes collègues français, je lui demandais naïvement : et vous, vous ne célébrez pas la fin de la guerre ? Celui-ci me répondit : Pourquoi faire ? On a rien à fêter on a perdu la guerre ! Je suis resté bouche bée. Ainsi donc, ils ne fêtaient pas la fin du nazisme et de ses atrocités par simple fait qu’ils aient perdu la guerre. Cette guerre perdue était donc plus difficile à accepter pour eux que la fin d’un mal qui s’était répandu sur l’Europe?

Je décidais de faire quelques recherches sur cette question. Et cette dernière fait l’objet d’un vif débat au sein de la classe politique. Dans le land de Mecklenbourg-Poméranie occidentale, le 8 mai est déjà un jour du souvenir. L’idée est également discutée dans d’autres régions de l’Allemagne comme à Hambourg ou à Berlin. Le SPD est plutôt favorable à cette idée tandis que la CDU s’y oppose. Elle argue que l’Allemagne a déjà son jour du souvenir, le 27 janvier, jour de libération du camp d’Auschwitz.

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L’Armée Rouge devant Berlin, 1945

De plus elle avance l’argument que pour toute la partie allemande occupée par l’Armée Rouge, ce n’était pas une véritable libération même si on ne peut pas comparer le régime nazi et le modèle ex-communiste mis en place en RDA. Cet argument peut être recevable. Mais si l’on creuse un peu plus, on est en droit de remarquer quelque chose d’étrange.

Tout d’abord, si l’on regarde les sondages d’après-guerre, certains sont tout à fait saisissants. Celui de 1949, par exemple, qui nous déclare qu’à 60%, les allemands trouvent que « le nazisme était une bonne idée, mais mal appliqué ». Mal appliqué se référait ici à la découverte des camps de concentration. On demanda également aux allemands ce qu’ils reprochaient le plus à Hitler. La réponse la plus courante fut: « D’avoir perdu la guerre », devant la persécution des juifs, ou l’entrée de l’Allemagne dans la guerre. Enfin, on sait que seul 14% de la population allemande était favorable à la dénazification en 1948. Que peut-on tirer de ces deux sondages?

La grande majorité partageait et partage toujours le dégoût des camps d’extermination et de concentration, même si la population de l’époque ne se sentait aucunement coupable des massacres. On le sait, les américains ont cherché à dénazifier la population allemande en les obligeant à visionner les vidéos des camps de la mort, ou en leur faisant visiter les chambres à gaz, comme à Dachau notamment. Mais ce procédé fut un échec.

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Prisonnier d’un camp et un gardien

Malgré le choc, les allemands rejettaient la responsabilité des atrocités. De plus, la publication intensive de ces images provoqua au fur et à mesure une indifférence générale de l’opinion. Si la découverte des camps a pu marquer la population, il n’ en fut pas de même quant au rejet d’Hitler ou du nazisme. Comme je l’ai déclaré dans mon article sur la dénazification de l’Allemagne, la population allemande, contrairement à d’autres pays, était favorable au nazisme. La réaction des allemands surprit les Alliés. Au lieu d’assister à une épuration, ce fut tout le contraire qui se passa. La population protégea les anciens nazis. Ce fut la conséquence certaine de ce qu’on appelle la « Volksgemeinschaft », ce qui signifie littéralement la « communauté du peuple uni ». Les nazis réussirent en effet à imprégner fortement les allemands de ce sentiment. Le but était, pour simplifier, d’effacer les classes sociales pour fonder une société unie vers un objectif commun : ici, le nazisme.

Des conséquences sur le présent

De ces deux points résulte le présent de l’Allemagne. Tout d’abord, le jour du souvenir du 27 janvier, ne fut officiellement déclaré jour du souvenir qu’en 1996, soit plus de 50 ans après la fin de la guerre. La faute certainement à une classe politique d’après-guerre gangrenée par les anciens nazis. La nouvelle génération accepta plus volontiers l’idée du jour du souvenir. On comprend également mieux pourquoi il fut hors de question de déclarer le 8 mai comme jour de la libération. La classe politique et la population, ont largement soutenu le nazisme, et ce, longtemps après la guerre. La dénazification fut une grande comédie, et on céda vite à la politique du pardon général, visant à enterrer une bonne fois pour toute l’horreur nazie. Dans ces conditions, hors de question de célébrer la défaite du nazisme.

La génération nazie d’après-guerre a aujourd’hui disparu. Une nouvelle génération est en place aujourd’hui en Allemagne. Le débat du jour du souvenir est donc revenu sur le tapis. Nos voisins sont-ils aujourd’hui prêts à mettre en place ce jour férié? La réaction et le refus de mon collègue étaient-ils un reflux de la mémoire collective allemande?

En tous cas, du point de vue des partis politiques, le SPD semble en faveur de la mise en place de ce jour férié. La CDU, on l’a dit, le refuse. Peut-on expliquer cela par le fait que la CDU fut le véritable réceptacle d’anciens nazis, dès la fin de la guerre?

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Le Bundestag dans les années 50

Ainsi, les 20% d’anciens nazis siégeant en 1949 au Bundestag, étaient des membres de la CDU. Il ne s’agit peut-être pas d’une coïncidence si la CDU continue de s’inscrire dans cette tradition datant d’Adenauer, visant à occulter le passé nazi et à continuer la politique du pardon généralisé.

Et la Bavière?

Et qu’en est-t-il de la Bavière ? Ce jour n’est pas célébré mais ne semble pas échapper à la polémique du moment. Il suffit de taper sur internet en allemand, les termes  « fêter le 8 mai en Bavière et le résultat est aberrant: le premier résultat est un site d’extrême droite qui dit clairement «  8 Mai feiern wir nicht! » ce qui signifie Nous ne fêtons pas le 8 Mai!. Ou encore, dans un journal plus modéré, on titre : « Der 08. Mai 1945 – Befreiung oder Katastrophe? »  (8 mai 1945 : libération ou catastrophe?). Cela nous indique bien que l’opinion est encore très divisée sur ce sujet qui fait débat. Le site des Anti-fas, anti- fascistes, souhaite quant à lui célébrer ce jour qui a « libéré l’Allemagne de la barbarie nazie » et appelle à une manifestation dans Munich pour célébrer la libération.

Je me suis également penché sur la position de Christian Ude, l’ancien maire SPD de Munich pendant plus de 20 ans. Une position intéressante à analyser : il botte en touche sur ce sujet, lui qui est un fils d’un nazi très actif. En effet, son père, Karl Ude, a écrit plus de 5 000 articles dans divers journaux nazis, dont l’organe officiel du parti, le “Völkischen Beobachter”. Si les paroles peuvent s’oublier ou être dissimulées avec le temps, il est plus difficile d’effacer des écrits conservés dans des archives.

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La famille Ude (Karl à gauche, Christian à droite)

Et les articles du père de l’ancien maire de Munich sont édifiants. Il soutenait la politique nationale d’Hitler, le programme d’euthanasie pour les personnes handicapées et affichait sa haine des juifs, des polonais. Cela peut-il avoir eu un impact sur son fils? En me promenant sur sa page wikipedia, je fus très surpris de lire dès la première phrase : il grandit dans une famille de la classe moyenne aux idées de gauche libérale. Le national-socialisme est donc de gauche libérale, selon Wikipédia. Encore une belle manière de mentir sur le passé d’une famille.  Puis, sur le site officiel de Christian Ude, j’ai failli avoir une bonne surprise en remarquant qu’il avait édité un article le 8 mai 2016 sur le thème… des embouteillages le matin pour aller au travail qui s’avère, selon lui, être un enfer pour les bavarois. Pas de prise de parole sur le sujet du jour de la fin de la guerre.

Bref, on l’aura compris, ce 8 mai est un sujet de discorde, qui n’a pas fini de faire parler. On peut au moins saluer l’action de ceux qui ont réussi à relancer le débat dans la sphère publique et qui militent pour le devoir de mémoire.

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Sources :

https://www.latrompette.fr/fr/articles/posts/la-resurgence-de-l-allemagne-nazie-premiere-partie

https://books.google.fr/books?id=mIOPW3_U6NsC&pg=PA276&lpg=PA276&dq=politique+du+pardon+allemagne&source=bl&ots=V63Kt44e8Y&sig=FAEcxPQSaiDLiiFLSZFEFA5lils&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwjxnr3KqsXXAhVpLMAKHe5XB4kQ6AEIJzAA#v=onepage&q=politique%20du%20pardon%20allemagne&f=false

http://www.lemonde.fr/europe/article/2015/05/08/l-allemagne-aussi-celebre-le-8-mai-jour-de-liberation_4630399_3214.html

https://de.wikipedia.org/wiki/Tag_des_Gedenkens_an_die_Opfer_des_Nationalsozialismus

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